Place au héros médiéval de Jacques Martin, l’architecte-peintre-sculpteur
Jhen (initialement Xan), apparu pour la première fois dans le Journal de Tintin
en 1978, dessiné par Jean Pleyers.
Pour cette quinzième aventure, Les portes de fer (référence
à cette partie étroite des gorges du Danube) c’est Paul Teng (qui a déjà tâté
du Moyen-âge dans sa série Shane, au Lombard) qui se colle au dessin, et Jerry Frissen et
Jean-Luc Cornette au scénario. Le tout est superbement mis en couleur par
Véronique Robin.
Nous voici embarqués avec Jhen, et son compagnon Venceslas, dans les
neiges de Transylvanie, en 1442, sur la route du retour en France. Alors que
Venceslav va rendre visite, seul, à un ami moine, il est enlevé par les
Ottomans. Jhen part à sa recherche…
Frissen et Cornette choisissent de placer cet opus dans une Hongrie
particulièrement agitée. Si celle-ci a connu son apogée médiévale sous Louis 1er
le Grand (1342-1382), elle est, au moment où commence l’album, plongée dans des
conflits internes. En effet, une guerre de succession a finalement porté
Ladislas III (1440-1444) au pouvoir. Celui-ci est issu de la dynastie d’origine
lituanienne des Jagellon, qui règne sur une partie de l’Europe centrale. Son
nom est évoqué page 6, ainsi que celui de Jean Hyunyadi (Ioan Corvin en
roumain), futur régent.
A cette agitation interne, la Hongrie est soumise aux assauts
extérieurs des Turcs ottomans, qui deviennent rapidement un des personnages
principaux de la BD ! Cette dynastie, fondée fin XIIIème par Osman 1er
(1281-1326), a profité de la décadence du sultanat seldjoukide pour s’imposer,
menacer les Byzantins et Constantinople, conquérir les Balkans, la Serbie, la
Bulgarie entre autres, établissant même sa capitale en Europe (Andrinople,
aujourd’hui Edirne, en 1365 – page 21). Les portes de l’enfer retranscrit
pleinement le sentiment d’une Europe effrayée par cette puissance ottomane,
incarnée ici par les puissants janissaires, ces soldats de l’infanterie
régulière turque recrutés parmi les enfants des chrétiens vaincus et soumis.
La Hongrie a, fin XIème, définitivement adopté le christianisme, qui y
a été introduit à la fin du Xème. C’est
donc logiquement que l’on retrouve un pays grandement évangélisé. Venceslas, et
une magnifique croix, qui prendra par la suite une place centrale dans ces
aventures, se retrouve prisonnier du
sanglant Corbasi, parce que présent lors du pillage d’un monastère par les
Ottomans. Paul Teng dessine avec grande élégance et maîtrise de la ligne claire
cette Hongrie apeurée qui tente de se protéger de l’avancée turque. Les pages 5
à 9 donnent une large place à la ville de Sibiu (Nagyszeben en hongrois), dont
l’histoire résume alors celle du pays. Cette cité transylvanienne se retrouve
au XIIème siècle sur la route des invasions venues de l’Est, qu’elles soient
mongoles puis turques, et doit se protéger, en construisant une enceinte encore
visible aujourd’hui. Des colons allemands seront même invités par le roi à
venir s’y installer. C’est dans ce « bastion de la chrétienté »,
comme la nommera le pape Eugène IV (1431-1444), que Jhen se réfugie, avant la
course poursuite haletante qui va suivre. Les scénaristes se sont d’ailleurs
amusés à croiser le nom du fondateur mythologique de la ville au XIIème siècle,
un certain Hermann (Sibiu sera nommée un
temps Hermannsdorf – « le village de Hermann »), et Hermann Patte d’ours
que l’on retrouvera à la fin de l’ouvrage !
Sibiu, 1857.
Si Les portes de fer est une réussite, c’est qu’il combine à
merveille plusieurs critères. Tout d’abord, le contexte historique est
maîtrisé, et le scénario s’inscrit habilement dans ce celui-ci. Scénario qui ne
laisse que peu de moments de répit à notre héros et aux lecteurs ! Il est ensuite
servi par un superbe dessin, particulièrement appréciable dans les scènes de
mouvement et de combats. Les arrière-plans sont travaillés, soignés, les
paysages sont magnifiques. Même lorsqu’ils sont enneigés, comme dans une bonne
deuxième partie de l’album, la monotonie ne guette jamais ! Les uniformes (notamment
des janissaires) et les vêtements sont aussi une réussite. Les couleurs de
Véronique Robin y sont pour quelque chose !
L’album ne se résume pas uniquement à son caractère épique. Il est
marqué par une noirceur omniprésente, dont le franchissement du défilé des
Gorges du Danube, des Portes de fer, est l’aboutissement. L’Europe est au
bord de la rupture, les horreurs de la guerre ne nous sont pas épargnées (voire
le massacre des villageois dans la grange – page 17), et Jhen doit faire face à
l’égoïsme et à la violence de Gerwulf. Les visages sont fatigués, creusés par
la guerre, le froid et la faim. Leur expressivité est aussi une réussite.
Une
dernière lutte avant la victoire ottomane de Varna (et donc défaite chrétienne !) en 1444,
durant laquelle Ladislas III périra… Mais ne doutons pas que d’ici là, Jhen
sera loin !
Un scénario digne de Jacques Martin!
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