La superbe couverture de Un
maillot pour l’Algérie nous met tout de suite dans le bain. Un Rachid Mekhloufi
à l’air grave nous toise du regard. A
arrière-plan, des soldats du FLN et des militaires français, armes à la main.
Le Stéphanois n’a pas de fusil, ses armes sont un ballon et un maillot vert, ceint
du croissant et de l’étoile d’une colonie qui combat pour sa liberté.
Le trio Bertrand Galic (déjà scénariste
de l’adaptation du Cheval d’orgueil de Pierre-Jakez Hélias, avec Marc Lizano au
dessin) / Kris (Notre Mère la guerre, Svoboda !...) / Javi Rey nous
livrent un one shot passionnant de bout en bout, commençant par les massacres
de Sétif en mai 1945 (qui vont marquer plusieurs des protagonistes de l’histoire), annonciateurs d'une guerre d’indépendance qui éclatera neuf ans plus tard, et se
terminant avec la signature des Accords d’Evian en 1962.
Manifestations à Sétif - mai 1945 |
La guerre d’Algérie ne tient pas
le premier rôle mais s’inscrit en filigranes, par l’intermédiaire de titres et unes de journaux,
quelques phylactères faisant référence à quelques moments clés, et de très
rares cases.
Depuis 1956, la guerre s’est intensifiée, le conflit s’est élargi. Si
la métropole remporte plusieurs succès militaires, dont la bataille d’Alger en
1957, elle est en train de perdre le soutien de l’opinion publique en métropole,
et doit composer avec des condamnations émanant des grandes puissances et de l’ONU.
En septembre 1958 est fondé le Gouvernement provisoire de la
République Algérienne (GPRA), présidé par Ferhat Abbas jusqu’en 1961, et dont
le siège sera basé au Caire, puis à Tunis.
Le héros est ici une équipe de footballeurs algériens qui vont
accepter de mettre entre parenthèse leur carrière sportive en fuyant la
métropole, quittant leur club en catimini les 13 et 14 avril 1958, afin de
constituer la première équipe nationale algérienne, sous l’égide du Front de
Libération Nationale (FLN) créé en 1954. Pour certains, cela sonnera le glas de
leur carrière de footballeur professionnel.
Une de L’Equipe du 15 avril 1958 |
Le championnat de France attire
alors les meilleurs joueurs d’Afrique du Nord, originaires des territoires colonisés
ou des ex-protectorats français. Rachid Mekhloufi (ASSE), Hamid Kermali (OL),
Amar Rouaï (SCO Angers), Mustapha Zitouni (AS Monaco) brillent sur les pelouses
de l’hexagone, mais vont faire le choix de leur terre d’origine. La fuite des joueurs de la métropole, vers
Tunis, est organisée par l’ancien joueur Mohamed Boumezrag (Red Star, Girondins de Bordeaux...), secondé par Mokhtar Arribi (entraîneur
en 1958 de l’équipe d’Avignon) qui coachera l’équipe. L’écho de ces départs est relayé par le
journal L’Equipe et la presse française, alors que la France prépare la Coupe
du monde en Suède, et que plusieurs de ces joueurs algériens sont
potentiellement sélectionnables.
Olympique Lyonnais -saison 1956 - 1957 : De gauche à droite debout : Ninel-Mouynet-Solakian-Mignot-Antonio-Knayer ; accroupis : Hamid Kermali-Constantino-Schultz-Cossou-Fatton. |
Le sport devient ainsi un
formidable outil de propagande. Les auteurs nous proposent de suivre la tournée
de cette équipe, qui devient l’ambassadrice de la cause algérienne dans le
monde. L’Europe de l’est, le Vietnam, l’Afrique du Nord, le Proche-Orient, et
d’autres pays accueillent ces footballeurs, malgré les menaces d’une FIFA qui
se place du côté des colonisateurs. Equipes de clubs, sélections locales, mais
aussi sélections nationales, vont, le plus souvent, se faire étriller par cette
première sélection algérienne, durant quelques 90 matchs.
Ce qui pouvait être à première vue redondant, à savoir suivre la vie
d’un groupe au fil de ses matchs, sur plusieurs années, est au final traité sur un
rythme alerte, alternant les matchs avec les moments de doute et d’euphorie,
les histoires de cœur avec des passages
franchement drôles (belle trouvaille que le bus dans lequel il manque une place !).
Quant au catalan Javi Rey (Secrets – Adelante), son trait excelle dans
des scènes de match croquées avec réalisme, finesse et dynamisme. Quelques cases suffisent à dégager l’émotion
et l’ambiance procurées par un match, où des moments de vie du groupe dans le pays
hôte (c’est par exemple la rencontre avec le général Giap, le vainqueur de Diên
Biên Phu, qui est choisie par les
auteurs pour la tournée au Nord-Vietnam, en novembre 1959). La rencontre contre
la grande équipe de Yougoslavie bénéficie d’un traitement plus long, sur cinq
pages, comme pour souligner ce qui fut un des points d’orgue de l’équipe de
Mekhloufi et consorts (victoire 6 à 1).
Un récit parfaitement mené par Bertrand Galic, et l’un des maîtres de
la BD historique, Kris. La fluidité et la légèreté du trait de J. Rey s’adaptent
parfaitement à cette histoire d’un groupe d’hommes, qui va mettre son talent
footballistique au service d’un engagement politique juste, et va ainsi
rejoindre la grande Histoire, pour l’éternité !
Si l'historien Benjamin Stora insiste sur la multiplicité des mémoires, dès lors
que l’on aborde la Guerre d’Algérie, Un maillot pour l’Algérie participe à faire
revivre celle de ces sportifs algériens qui ont choisi leur patrie et le
militantisme plutôt que leur carrière.
Un dossier et une interview avec Rachid Mekhloufi clôturent
l’album.